Bonjour tristesse…

Une marche à la journée. Une de plus. Préparée avec soin comme d’habitude, avec deux parcours possibles, pour ceux qui ont envie d’en mettre un bon coup et pour ceux qu’un parcours plus court suffit pour être plaisant. L’originalité de la balade, c’était la destination en Allemagne, d’où un départ un peu plus précoce. Après les retrouvailles matinales, la répartition dans les voitures et le trajet jusqu’au lieu de départ. On échange avec l’un ou l’autre que l’on n’a pas eu le temps de saluer plus tôt, on évoque la forme du moment, les prévisions météo que l’on espère fausses et l’on trouve sa place dans la file indienne qui s’élance pour quelques heures de marche. On a déjà entendu que Patricia avait participé à la sortie de préparation mais qu’elle était restée à la maison pour profiter de la venue de sa fille. Un coup tu es devant, un autre coup tu es derrière, il n’y a pas de règle. Tu es tout simplement là où te retient la discussion que tu as engagée. Et quelquefois tu marches plus lentement car tu sens un coup de moins bien. Tu es venu, car tu prépares la traversée de la Corse, le GR 20 et tu sais que la fatigue est l’un des paramètres qu’il faudra gérer pendant ton périple exigeant. Cela ne posera pas de problème. A Sport-Evasion, on se regroupe régulièrement et on rentre tous ensemble.

Au kilomètre 3 on s’est arrêtés au signal. On aperçoit les derniers là-bas, 50 mètres à l’arrière, un sac rouge posé au sol. On attend vraisemblablement quelqu’un qui range quelque chose dans son sac à dos. Curieusement, une personne à proximité rebrousse chemin et s’agenouille à côté du sac rouge. Un autre arrive puis cinq autres. Cela ressemble fort à un mouvement de panique qui peu à peu se confirme : Georges fait un malaise ! Ils sont plusieurs autour de lui à se relayer pour le massage cardiaque. Leurs gestes assurés montrent qu’ils n’en sont pas à leur première fois. Georges est entre de bonnes mains. N’empêche qu’il nous fout la trouille sur ce coup-là. Les secours ont été prévenus. Un parapluie s’est ouvert sur la scène et protège tant bien que mal. L’inquiétude se lit sur les visages tandis que résonne une voix intimant à Georges de revenir. Les minutes qui s’égrènent dans ces cas-là sont toujours interminables. Enfin, une sirène se fait entendre. Elle se rapproche puis… disparaît. Au bout de quelques minutes, quelques personnes se détachent du groupe et descendent à la recherche de l’ambulance qui doit avoir du mal à trouver le lieu exact dans la brume. Les signaleurs se séparent pour augmenter les chances d’entrer rapidement en contact. L’option a été payante. L’un d’entre eux est tombé sur le véhicule de secours qui s’était embourbé. Il arrivera ainsi rapidement sur le lieu. Parmi les membres de la croix rouge, un médecin qui coordonne et prend rapidement le relais. C’est un soulagement. Mais l’inquiétude reste forte car l’impression que ça dure depuis une éternité reste omniprésente. Sur quelques visages, des larmes se mêlent aux gouttes de pluie. Un bruit d’hélicoptère se fait entendre. Par chance le brouillard s’est un peu dissipé et lui permet de se poser. Mais lorsqu’il coupe le moteur au bout de quelques minutes, les plus expérimentés ont compris. Il ne repartira pas avec Georges. C’était impensable. Et pourtant tout le monde le vit, comme sorti du réel. La voix qui implorait Georges de revenir s’est tue… La croix rouge locale vient à la rencontre du groupe de marcheurs hébété resté à l’écart. Elle nous convie à la salle communale afin de réchauffer nos corps transis par la pluie et le froid et si nous le désirons, nous mettre en contact avec une psychologue. Avant de partir, le médecin rassure l’équipe intervenante : la prise en charge de Georges a été optimale. Il n’était pas possible de mieux faire. Il reste quelques places dans le véhicule de secours pour ceux qui seraient trop secoués par la situation. Mais le désir de rester soudés dans l’épreuve est plus fort. Laisser Georges « seul », est une déchirure pour certains, comme un abandon… La descente se fait en mode zombie. C’est encore trop frais pour qu’on puisse l’admettre. Les larmes coulent abondamment. Des plaies cicatrisées depuis des années se ravivent : d’où l’importance de ne pas rester seul dans de pareilles circonstances.

La croix rouge nous accueille dans une salle communale chauffée. Café tisanes boissons chaudes nous sont proposés. Les bénévoles allemands nous donnent des conseils et nous proposent de faire venir une psychologue. Nous avons bien conscience que parler de tout ça est important mais trop délicat maintenant avec un interlocuteur allemand. En tout cas, ça a été un moment vraiment réconfortant d’avoir été accueilli ainsi. Nous les remercions chaleureusement. Un volontaire ramènera la voiture de Georges tandis que quatre représentants de Sport-Evasion se chargeront d’aller trouver Patricia pour lui raconter ce que vous venez de lire. Un grand merci à eux pour avoir été nos porte paroles, chacun imagine bien la complexité d’une telle tâche.

Georges a pris sa première carte de membre en septembre 2021 et s’est rapidement joint au groupe des fidèles qui marchent le dimanche matin et le mercredi. Par son activité de Lieutenant de louveterie, il était responsable d’une zone géographique assez importante et avait donc une très bonne connaissance de la nature environnante, tant du point de vue de la faune que de son biotope.

Il avait admis humblement, que la retraite l’avait effrayé et qu’il l’avait repoussée le plus loin possible. Cette activité d’immersion en pleine nature était l’une des activités qui lui permettait de compenser la perte d’une vie sociale dense offerte par sa profession de dentiste.

Mais c’était également l’occasion d’avoir un contact permanent avec la nature qu’il affectionnait tant. Il la parcourait seul, de jour comme de nuit quelque fois. Le choix d’entrer à Sport Evasion fut l’occasion pour lui de la parcourir accompagné. Il n’a pas tardé à nous faire profiter de sa connaissance des sentiers pour proposer des sorties.

En 2023, il rejoint le groupe des pionniers, les responsables des reconnaissances des marches mensuelles. Il était ravi de découvrir de nouvelles contrées comme la Forêt Noire qu’il connaissait si peu et se disait émerveillé par la convivialité des randonnées, des paysages et des sites touristiques si proches de l’Alsace.

Georges aimait les produits de la ferme, cette nourriture simple que l’on consomme lors des journées de chasse. Car oui, c’était un chasseur.

Un de ces amoureux de la nature qui savent très bien que les questions environnementales sont complexes et demandent des réponses adaptées au cas par cas.

Eh oui, si les chevreuils n’ont pas de prédateurs naturels, ils finissent par compromettre le développement de la forêt et réguler leur population s’avère parfois nécessaire. La chasse est quelquefois une question de bon sens.

Un « anti-chasse » du club a eu l’occasion de participer à l’une de ses battues et en est revenu avec un jugement beaucoup plus nuancé sur cette activité. Certaines expériences ouvrent l’esprit et Georges l’avait bien compris. La retraite, ce fut également l’occasion de renouer avec les abeilles et sa passion d’apiculteur.

Comme tous les apiculteurs, il était intarissable sur ses protégées et forcément un peu inquiet pour l’avenir. Mais pas défaitiste. Après son accident cardiaque et l’intervention qui lui a sauvé la mise, nous l’avons vu à la peine. Et nous avons aussi admiré l’opiniâtreté qui lui a permis de retrouver ses capacités et d’envisager la traversée du GR20 cet été. Il faisait plaisir à voir.

Son chemin parmi nous a pris fin à notre surprise générale. C’est un grand moment de tristesse. Pour certains d’entre nous, cela s’arrête là. Pour d’autres, ce n’est qu’un passage. Il revient à chacun de choisir ou pas. Nous le remercions pour tout ce qu’il nous a apporté. Nous présentons nos condoléances à Patricia, Anne sa fille et Nicolas son fils ainsi que leurs proches.

La mort de Georges n’est pas tout à fait comme celle des autres. Les circonstances décrites ci-dessus montrent qu’elle a eu une résonance particulière. Pour les témoins de cette sortie, pour les acteurs auprès de Georges et pour les autres, le comité de Sport Evasion propose à ceux qui le désirent, un espace de parole. Cela va mieux en le disant. Si vous éprouvez la nécessité de vous exprimer sur votre vécu, vos sentiments, votre peine après cet événement, vous pouvez vous adresser à l’association PIERRE CLEMENT qui met à disposition des écoutants formés, qui sauront accueillir votre parole ou votre désarroi. Vous pouvez donc appeler au 03 88 35 18 81, une personne répondra à votre demande. Si vous éprouvez le désir de partager un moment de parole avec les membres de Sport Evasion, c’est tout à fait envisageable. Il vous suffit de contacter Caroline notre présidente au 06 10 55 72 01.

Revenir marcher. Cette sorte de première fois n’est pas simple. La sortie dominicale du 27 avril dernier l’aura montré. Nous avons parcouru cette forêt rhénane chère à Georges et les clins d’oeil à sa mémoire n’ont pas manqué : les abeilles se sont invitées dans quelques chevelures et le relais de chasse a été le lieu tout indiqué pour partager quelques mots à sa mémoire. Bras dessus, bras dessous, main dans la main, nous avons pu partager un moment d’émotion intense avec lui et honorer sa mémoire. Voici un extrait du texte choisi par sa famille que nous avons lu afin de nous aider à tourner cette page.

Ne pleurez pas en pensant à moi,
Soyez reconnaissants pour les belles années,
Je vous ai donné mon amitié,
Vous pouvez seulement deviner le bonheur que vous m'avez apporté
Je vous remercie de l'amour que chacun m'a démontré,
Maintenant, il est temps de voyager seul.
Pour un court moment vous pouvez avoir de la peine.
La confiance vous apportera réconfort et consolation.
Nous serons séparés pour quelque temps.
Laissez les souvenirs apaiser votre douleur,
Je ne suis pas loin, et la vie continue…
Si vous avez besoin, appelez-moi et je viendrai,
Même si vous ne pouvez pas me voir ou me toucher, je serai là,
Et si vous écoutez votre coeur, vous éprouverez clairement
La douceur de l'amour que j'apporterai
Et quand il sera temps pour vous de partir,
Je serai là pour vous accueillir

10 commentaires

  1. une tristesse immense….. toujours souriant et attentif, Georges avait aussi les mots d’encouragement et l’accompagnement pour te relancer dans ta marche. MERCI Georges. Toutes mes pensées à Patricia et Merci Pierrot pour cet hommage.

    1. Je ne peux pas faire ça seul. N’ayant pas été témoin direct, il a fallu que certains membres se livrent, que d’autres me relisent pour rester fidèle à ce qui s’est passé. Trouver la bonne distance est toujours délicat. Merci à toute mon « équipe » et à tous ceux qui ont tenu à réagir.

  2. Les mots me manquent …
    Encore très triste et bouleversée par cette journée.
    Ce bel hommage montre à quel point il était apprécié et que chaque membre de sport évasion éprouve du chagrin à sa mesure.
    Toutes mes pensées à ses proches, à vous tous également, à Joëlle son amie présente aussi.

  3. Très bel hommage. Aucun mot ne sera assez fort pour réconforter la famille et les proches. J’envoie un maximum d’ondes positives dans cette lourde épreuve ❤️

  4. J’apprends cette triste nouvelle par ton message, j’adresse mes sincères condoléances à sa famille. Je ne le connaissais que très peu, mais je garde un souvenir ému de son sourire et de sa gentillesse.

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