« J’adore faire du sport en équipe !»
C’est en ces termes que la sortie préférée de Dominique, se concluait sur le parking. Bernard, Christian et Rémy venaient de la reposer sur le sol qu’elle avait quitté quelques kilomètres avant, la cheville bien gonflée par une entorse.
Nous étions dans la préparation d’une de nos courses habituelles, auxquelles elle avait pris goût de participer : Obernai, Markstein, Taenchell, Ribeauvillé… et tant d’autres.
Son activité professionnelle ne lui laissait pas la possibilité de venir aux entraînements dans la semaine. Elle se débrouilla pour s’entourer d’une partenaire toujours disponible, en engageant Nicole (Koehler) dans son entreprise de vente de poêles. Elles fermaient le magasin à midi, enfilaient leurs shorts et leurs Tshirt, et allaient écumer tous les sentiers autour de Bergheim entre midi et deux. Le virus de Sport Evasion avait opéré.
Elle a pu donner libre cours à sa générosité naturelle dans un domaine qu’elle a découvert chez nous : l’engagement physique. Dominique qui avait l’élégance chevillée au corps, a appris à la mettre entre parenthèses le temps d’un l’effort qui vous transfigure et vous rend méconnaissable à l’arrivée. Elle a repoussé ses limites et y a trouvé beaucoup de plaisir. Lorsque la chaleur suffocante lui collait les cheveux en paquets, elle n’hésitait pas à entrer toute entière dans la fontaine. Elle savait que lorsqu’on a l’élégance chevillée au corps, elle ressurgissait inévitablement.
Dominique avait aussi à coeur de la faire vivre dans ses relations. Elle avait régulièrement ce petit mot gentil qui passe presque inaperçu si l’on n’y prend garde, qu’elle savait distiller aux autres pour leur témoigner son attention. Elle avait à coeur de faire de chaque rencontre un moment agréable, pour que l’autre se sente à l’aise. « Je veux que les gens qui rentrent dans mon magasin se sentent comme chez eux, ça doit être heimlich 1« . C’est ainsi qu’elle a reçu Sport Evasion dans son magasin un dimanche de 2016. Notre sortie dans les vignes embrumées s’est terminée par un moment très convivial et Heimlich dans la chaleur ouatée des poêles et le réconfort d’une bonne bière et d’un bretzel.
La rumeur dit que c’est dans ces mêmes locaux qu’apparaissaient régulièrement sur le bureau une fleur, un petit bouquet, le chocolat que chacun préfère, une petite attention personnalisée avant de partir en vacances.
Dominique ne s’en est pas tenue là. Dès qu’elle a eu vent de l’organisation des foulées du loup, elle s’est empressée de figurer parmi les sponsors principaux de la manifestation, et a fourni quantité de bonbons, casquettes et autres accessoires qui ont fait le plaisir des plus jeunes participants tout en participant activement elle-même le jour J, au ravitaillement des coureurs.
Sa plus belle course, ce fut indiscutablement le marathon de Salzbourg. Elle l’avait soigneusement préparée avec nous à Sélestat, et avec Nicole et Yann à Bergheim.
Pour son premier marathon, on peut dire qu’elle ne fut pas gâtée par la météo. Rappelez-vous, c’était dans l’épisode 3 du compte rendu de Salzbourg et le surnom qu’elle gagna cette course-là fut Husky (animal infatigable aux yeux d’un bleu irréel faut-il le rappeler) :
7h30 La chenille blanche est au rendez-vous. On s’engouffre tous dedans et l’on s’éparpille un peu partout. Husky est là avec son sac de ravitaillement. C’est un hôpital ambulant. Des médocs pour soigner un haras. Tout, absolument tout ce que l’on peut acheter pour ce genre de randonnée est présent dans le sac. Sauf la paire de chaussures de rechange en cas de crevaison. Ça la rassure. Pas nous. On ne change pas au dernier moment. Elle doit faire son expérience. Silence diplomatique pour ne pas entamer sa confiance…
7h35 Essuie glace. Ça coule sur les vitres. Le regard cherche désespérément un petit coin de ciel bleu mais la quête sera vaine. Ça va mouiller. En attendant le bus se remplit. Comme on commence à connaître la ligne, les images de la veille défilent plus rapidement. On papote un peu pour meubler l’attente. Et la station fatidique finit par se pointer.
8h01Le bus disparaît. Les gouttes s’abattent régulièrement. Ce sont les premières minutes qui coûtent le plus. Le maillot se résout à prendre l’humidité. Les coureurs pas encore. On avance vite en espérant trouver un abri aux abords du départ sachant qu’avec tout ce monde, c’est un espoir un peu illusoire.
8h 07 La consigne est au point. Pas de bouchon, les sacs rentrent dans les camions de façon fluide. On va essayer de se planquer.
8h16 La queue devant les cabines de ch… s’allonge. Quelques héros parmi nous ont le courage de se mettre en position 24… ou 27 ou… Vraiment quel exercice de maso… On attend donc à couvert que cela se passe. Petit à petit le groupe s’étiole, on en récupère quelques-uns plus loin (ils ont tenté leur chance devant un autre ch… mais la queue se faisait au sec, malins !)
Vous l’aurez compris : nous avons perdu Dominique et Yann à l’échauffement. Direction fin du récit pour l’arrivée de Dominique.
[…]Qu’est ce que c’est bon de retrouver ces visages connus, de recevoir leur sourire et leur mots réconfortants. Ils ont surtout plein de renseignements sur les temps de passage des marathoniens qui restent. Cela va permettre de se projeter dans le temps et de gérer l’attente. Car je ne veux pas rater l’arrivée des nouveaux. Le premier marathon ne ressemble à nul autre. Il faut y être. C’est de l’émotion à la tonne. Il faut les fêter, leur faire un triomphe. Leur donner l’envie de remettre le couvert. Je me demande ce qu’il va rester dans le traîneau de husky. J’espère pour elle qu’elle ne s’est pas remplie de cochonneries et qu’elle ne va arriver pas trop détruite. Je caille. La veste toute mouillée de Fred est un vrai réconfort. J’ai immédiatement gagné 0,5 degrés.
14h13 Deux maillots bleus à côté du café Tomaselli aimantent nos yeux et nous libèrent enfin. Ils sont là ! Ils sont allés au bout. C’est GENIAL ! La fourmilière au bord de la route s’affole. Husky est là avec son fidèle compagnon. Elle semble encore avoir de l’énergie et vient saluer ses supporters en délire. Elle cueille un petit cœur de baudruche et poursuit sa marche triomphale jusque sur le tapis bleu qui jalonne les 50 derniers mètres. C’est la liesse générale
[…]14h22 Comme un seul homme, Sport-Evasion met le cap sur le chapiteau au milieu de la place. Las, le personnel est en train de prendre congé. Nous rebroussons chemin et jetons notre dévolu sur une des guitounes qui jalonnent la place. Par chance, la queue n’est pas longue. Et la séance de récupération efficace. Au moment où les bières arrivent sur la table, Husky en fait autant. Nous n’avons d’yeux que pour elle. Enfin surtout pour son sac à dos qui semble encore renfermer tant de potions magiques. Elle nous fait la liste de tous les déboires qui pourraient survenir à l’occasion d’une course et nous précise tout ce qu’elle avait emmené pour y faire face. Nous comprenons pourquoi il lui fallait un sac à dos ! Il y a des gens qui ne laissent rien au hasard. Pour la prochaine échéance, nous nous chargerons de lui faire sa liste.
En fait, elle ne nous l’a pas dit tout de suite, mais elle a visité absolument tous les WC sur le parcours…priant dès le premier, que le suivant ne soit pas à 10 km! Un premier marathon avec des coliques, c’est pas vraiment le bonheur. Mais elle l’a fait. Chapeau ! Et pour ceux qui l’ont vue arriver, je vous assure qu’il y avait une vraie admiration dans nos regards.
Le second marathon de Dominique ne s’est hélas pas fait à Sport Evasion. On dit pudiquement « longue maladie ». Nous avons tous eu l’occasion d’assister à la course de fond que représente le combat contre un cancer d’un proche ou d’un ami. Cela demande beaucoup plus de détermination et de volonté que de participer à une épreuve sportive, fut-elle longue ou difficile. Dominique a fait face, sans se départir ni de son élégance ni de son humanité. Et elle s’en est allée.
Pour certains d’entre nous, c’est une fin. Pour d’autres, ce n’est qu’un « à bientôt ». Puissions-nous nous aussi mettre un peu de « heimlich 1« dans notre quotidien en mémoire de Dominique.
Un grand merci à Nicole qui a représenté Sport Evasion à l’occasion de l’inhumation de Dominique. Par son expérience aux côtés de Dominique, elle a su en brosser un portrait empreint d’humanité pour nous faire partager une face sensible de Dominique que nous ne connaissions pas tous.
1 Pour les francophones, Heimlich est une expression allemande et alsacienne qui exprime le bien-être que l’on ressent lorsque l’on rentre chez soi, dans un environnement familier et cosy, une petite bulle de bonheur hors du tumulte extérieur. Un endroit propice au repos et à la régénération.
C’est avec les larmes aux yeux que j’ai lu l’article de SPORT EVASION envers notre amie Dominique. Grand merci. Cet article est à l’image de Dominique « Grandiose ».
Heureux d’avoir pu approcher une personne avec de telles qualités humaines.
François